Une petite cour tranquille
Pour beaucoup, Le Nord-Ouest est un modeste bâtiment dans une cour tranquille. Comme le diraient les fidèles de la maison il ne faudrait cependant pas se fier aux apparences. Découverte d’un lieu bien singulier.
Lorsqu’en 1997 – le 25 juin, pour être précis – la Compagnie de l’Élan, conduite par Jean-Luc Jeener, s’installe au numéro treize de la rue du Faubourg Montmartre, elle hérite d’un lieu reclus, fermé, mort même : un modeste bâtiment en fond de cour, témoin d’extravagances passées. Pourquoi, alors, y élire domicile et pourquoi, de surcroît, choisir ce lieu insolite pour y monter L’École des Femmes, pièce insolente par excellence ?
Ce petit bâtiment, voyez-vous, est l’héritier d’une longue histoire, où se croisent étoiles montantes du XXe siècle et comédiens classiques. En un mot, ce petit bâtiment a abrité bien des créations dans une atmosphère de perpétuel mouvement. Quel meilleur cadre pour les créations de la Compagnie de l’Élan ? Quel écrin plus adapté pour y appliquer les principes du théâtre de l’incarnation, si cher à Jean-Luc Jeener ?
Quand c’est Piaf qui l’entraîne…
Dès les années 1930, la salle du Théâtre abrite un cabaret réputé, qui prend à la Libération le nom de Club des Cinq. Cinq qui ? Cinq anciens de la 2e Division Blindée, dont Jo Longmann, l’entraîneur de Marcel Cerdan.
Edith Piaf elle-même y chante a plusieurs reprises et investit ce lieu qui lui devient cher – les coulisses du théâtre actuel abritent d’ailleurs toujours la loge de Madame Edith. Elle y invite en première partie un chanteur plein de promesses qui fait ainsi ses débuts à Paris : Yves Montand. Le jeune Charles Trénet vient s’y produire. Fait marquant, c’est là que Piaf et Cerdan se rencontrent pour la première fois.
Discret d’apparence mais débordant d’enthousiasme, le cabaret attire de nombreux artistes parmi ses habitués dont Gabin, Carné ou Prévert, qui le fréquentent avec assiduité. Le paysage changeant de la vie nocturne parisienne et la mort accidentelle de Marcel Cerdan auront cependant raison d’une belle ascension et 1954 sonne le glas du Club des Cinq.
La capitale a, c’est bien connu, horreur du vide, et les locaux sont rapidement convertis en cinéma, Le Club assurant alors la projection de films les plus divers, allant de la distraction familiale aux œuvres engagées. Il poursuivra cette carrière pendant près de 30 ans et l’on peut y voir aujourd’hui encore de nombreux vestiges de cette longue vocation : cabine de projection ou écran…
Le Passage en fête et en délire…
En 1991, le Club se fait Passage du Nord-Ouest et rassemble les amateurs de Rock qui s’y pressent en nombre. Avec sa réputation, qui grandit sans relâche, augmente l’impatience de ses voisins qui voient d’un mauvais œil ce tumulte grandissant. L’expérience, bien que couronnée de succès, ne durera guère.
La boucle est, comme l’expression le veut, bouclée. Nous voici de retour en 1997, année qui voit l’arrivée de la Compagnie de l’Élan dans les locaux. Deux salles y sont créées, la Salle Économides, couramment appelée “Petite Salle” et la Salle Laborey, la “Grande Salle”, toutes deux dédiées à des compagnons de route décédés prématurément.
Spartiate par choix, le Nord-Ouest se veut un lieu d’échange et de partage, ouvert à tous. Soutenu par des spectateurs fidèles, le Nord-Ouest peut se consacrer à sa mission : établir un dialogue personnel, direct, entre artistes et public.
Une œuvre ambitieuse
Chaque année, ce sont en moyenne 30 compagnies qui se retrouvent sur nos planches et près de 300 interprètes et comédiens qui donnent vie aux 100 pièces et 200 lectures que nous présentons. C’est en travaillant sans relâche, tous les jours de la semaine, en soirée comme en matinée, que nous pouvons organiser près de 1500 représentations par an !
La Compagnie de l’Élan
L’histoire du Théâtre du Nord-Ouest est sans doute riche en événements passionnants. Elle ne saurait cependant faire oublier celle de la Compagnie de l’Élan sans laquelle il n’existerait pas. Fondée en 1968 elle prend un modeste départ sur la scène théâtrale en donnant le Dom Juan de Molière au lycée Janson de Sailly à Paris, suivi, d’ores et déjà, de créations originales, Histoire de Roi et Les Méfaits de Tchekhov.
Officiellement formée en 1976 elle prend un nouvel essor sous la double direction d’Éric Laborey et Jean-Luc Jeener qui s’attachent à la création d’auteurs contemporains et à la représentation de dramaturges alors peu connus en France – dont Wole Soyinka qui sera le premier africain à recevoir le Nobel de littérature.
En 1986, c’est à l’Église Saint-Eustache de Paris que la troupe trouve enfin un lieu à la mesure de son ambition. Dans la crypte Saint-Agnès, elle trouve un cadre en parfait accord avec ses principes de communion, de dépouillement, d’austérité.
Tout en poursuivant la création de pièces contemporaines, de Jean-Luc Jeener, Patrice Le Cadre ou Claude-Henri Rocquet, la compagnie puise pour la première fois dans le répertoire classique. Phèdre, Bérénice, Bajazet de Racine, Le Misanthrope et Le Tartuffe de Molière, Le Cid de Corneille font six mois par an vibrer les spectateurs.
Le succès grandissant du nouveau regard que la Compagnie souhaite jeter sur la création théâtrale lui attire rapidement les faveurs d’un public convaincu. Accompagnant les âmes du mouvement au travers des péripéties qui font du théâtre une expérience humaine sans pareil, il se soude progressivement en un noyau fidèle, fervent, riche en idées.
De nouveau sur la route, la Compagnie se retrouve en 1995, à la recherche d’un nouveau lieu de représentation, un lieu cette fois-ci à même d’accompagner sa vision jusqu’au bout. C’est en 1997 qu’elle jette son regard sur un fond de cour méconnu, le Passage du Nord-Ouest. Tous retroussent alors leurs manches pour créer le théâtre que nous connaissons aujourd’hui.